Voici 18 mois que je suis en arrêt de travail. 18 mois …
Cela me parait si long et pourtant c’est passé tellement vite !

Dès le début de mon arrêt maladie pour « burn-out » (même si le mot n’est pas officiellement posé et est remplacé par syndrome anxieux dépressif, ce qui n’est pas loin de la vérité), j’ai rencontré un gros problème face au temps qui passe. Ma psychologue m’avait prévenue. Soit cela passe très vite, soit tout paraît interminable. La notion du temps est quasi toujours déformée quand on est épuisé.

Le temps de l’arrêt

J’étais à fond, dans le stress constant, courant après des échéances à respecter, travaillant sans compter mes heures, au bureau ou à la maison, le week-end ou le soir, tard, de plus en plus tard…

J’ai fini par foncer dans le mur et je me réveille, étourdie par cet arrêt soudain, cette porte qui se claque brutalement, ce silence assourdissant tout autour de moi.

Je suis surprise de ne pas entendre le téléphone sonner, les chefs me solliciter. J’ai encore en tête les dates à venir à respecter, les réunions fixées. Je regarde l’heure et je me dis : ils (les autres, mes collègues, ceux qui tiennent EUX) partent en pause, ils vont manger, c’est l’heure de la réunion hebdomadaire, c’est ce soir la deadline pour le budget… Comment font-ils sans moi ?

J’y penserai longtemps encore. Même recroquevillée dans mon canapé, même au fond du lit, même dans la salle d’attente chez le médecin. Surtout dans la salle d’attente chez le médecin… 

Le temps du repos

Alors que j’aimerais pouvoir arrêter de lutter contre cette enclume de fatigue et m’allonger là par terre et dormir pendant 6 mois, je continue à imaginer le déroulé de la vie sans moi.

Ce sentiment de ne rien faire ou presque pendant que les autres continuent à être hyperactifs dans leur travail, précipite et accentue l’impression de temps qui file à la vitesse de la lumière.

Pendant que je suis figée, comme au ralenti, le monde tourbillonne autour. Les enfants grandissent, l’année 2022 s’échappe déjà, les amis partent en vacances, mais pour moi les arrêts maladies se succèdent avec l’impression d’être plus souvent avec mon médecin qu’avec ma famille !

J’ai beaucoup de chance car les amis et la famille à qui j’ai confié ma  » chute » – j’étais un peu naïve car beaucoup m’ont vue sombrer peu à peu et ne sont même pas étonnés – ne me jugent absolument pas. Ils n’ont pas de paroles maladroites (voire malveillantes) comme en entendent d’autres amis traversant le même désert.
– quand est-ce que tu reviens ?
– tu n’as toujours pas repris ?
– plus longue est l’absence plus dur sera le retour tu sais ?!
– ça commence à faire long non ?
– tu ne vas pas partir tu as un CDI ! Ça ne se fait pas !
– tu sais on a tous des problèmes, faut serrer les dents …

Des paroles blessantes, ignorantes, culpabilisantes… Et inutiles !

Être arrêté par son médecin pour burn-out sévère c’est serrer le frein à main sur l’autoroute à 200 km/h, ça peut nous sauver la vie, mais ça laisse des dommages et des cicatrices qui vont prendre du temps à se réparer. Le remède de la mise en sécurité du travailleur acharné est nécessaire, vital, mais il ne stoppera pas rapidement les symptômes ou blessures que cause cet état si douloureux. Il faudra du temps.

Tiens le temps encore lui…

 

Le temps de l’acceptation

J’ai compris en 18 mois que le temps n’est pas mon ennemi mais au contraire un précieux allié sur le chemin de la remise en forme.

Le temps m’a permis de voir que je n’étais pas indispensable, que tout ne reposait pas sur mes épaules. Le temps m’a permis de calmer cette colère froide, ce sentiment d’injustice qui m’empêchait de dormir pendant des mois. Le temps m’a permis d’apprendre à me connaitre, à comprendre ce qui s’était passé et à savoir comment éviter de le reproduire dans le futur. Le temps m’a surtout permis de ralentir, de dormir et récupérer un peu d’énergie.

Lorsque j’ai compris que ce temps de repos, aussi long soit-il, est nécessaire et même vital, j’ai aussi admis que mon rythme au présent ne peut plus être comparé avec celui d’il y a 2 ans, lorsque je fonçais tête baissée vers le mur en béton…

Aujourd’hui le temps passe vite, je ne fais pas autant de choses qu’avant et surtout pas 15 choses en même temps, mais tout comme un bébé a besoin de 9 mois pour se construire, j’ai aussi besoin de temps pour me REconstruire.

Je ne suis plus la même personne, je ne refonctionnerai probablement plus jamais de la même façon mais je l’accepte.

Le temps apaise les choses et apportera je l’espère de beaux cadeaux et de belles découvertes.

 

Le temps de la compréhension

Les découvertes j’en ai fait plein depuis mon arrêt. Sur les autres, sur le fonctionnement du monde du travail, sur les outils pratiques pour me réparer mais j’ai surtout appris sur moi.

Depuis des années et des années, je faisais ce qu’on attendait de moi sans broncher, sans m’écouter, sans me prendre en compte finalement. J’en étais arrivée à me dévaloriser complètement et à être très cynique sur le monde du travail.

Évidemment, je n’ai pas descendu les marches seule. Mon entreprise, mes chefs, les changements constants, le manque de respect et de considération, la charge de travail grandissante, les injonctions contradictoires, le stress des échéances sans arrêt… m’ont bien aidée voire poussée tout en bas.

Quand l’entreprise a un salarié qui fait 110% de sa charge de travail sans retard, sans erreur, ils tentent de lui donner 120% puis 150% de tâches à faire. Au mieux, il refusera, quitte à partir, au pire il fera un burn-out. À moins que ce ne soit l’inverse… ?

On dit qu’on nous presse comme des citrons. Oui. On nous presse en nous enlevant toute notre énergie et on nous presse en nous disant que tout est urgent, que l’on n’a pas de temps. Vite vite vite…

Mais j’ai compris lors de ce temps de reconstruction (toujours en cours), que je ne suis pas seule. Les gens comme moi, perfectionnistes, râlant un peu mais sans savoir dire non ou stop, ceux qui sont ultra loyaux et ont besoin de fiabilité, contrôle et validation, de reconnaissance et juste d’un minimum de considération, sont nombreux. Nous sommes les cibles parfaites pour des entreprises ou des managers non sensibles à la qualité de vie au travail de leurs employés.

 

Le temps de l’apaisement

J’ai aussi découvert que je ne suis pas QU’une employée. Je suis aussi une femme, une passionnée de créativité, une amie, une épouse, une mère, une sœur, une fille…

Nous avons tous différents temps dans la journée et seule une bonne répartition de ces moments garantit un bon équilibre de vie, mental et même physique.

Alors oui, je me découvre car je n’avais pas écouté ni interrogé mes besoins. Désormais j’en prends davantage compte, je commence à connaître mes limites, tout en sachant quel milieu de travail ne me convient plus, ce que je voudrais ou non, ce qui est bon ou pas pour moi, mes valeurs, mes forces, mes ressources internes et externes. Je vis une véritable exploration intérieure, une découverte sans fin, une aventure avec moi-même.

Je prends enfin le temps de me rencontrer moi-même. Et tout cela demande… du temps !

Audrey, une ex-BURN’ette qui prend désormais le temps