Ariane DUBOIS nous livre son témoignage, dans un article publié par le Hufftington post. 

— Dans la vie, il faut faire ce qu’on aime. Qu’est-ce que tu aimes faire, toi ?

— Je ne sais pas trop… enfin, je sais plus.

BURN-OUT – Jenny, ma meilleure amie fronce les sourcils. Elle prend très au sérieux mon absence de réponse. Et pour cause : je l’ai convoqué dans ma chambre, chez mamie Pierrette où j’ai échoué depuis six mois après dix ans de mode.

Pendant des semaines je n’ai pas parlé, pas mangé, pas bougé, à peine ai-je respiré. Mais ce matin, je me tortille dans mon lit, mal à l’aise devant l’œil scrutateur de Jenny… Je me demande si j’ai bien fait d’initier ce brainstorming.

L’ordre du jour était pourtant simple : comment faire pour que la vie coule de nouveau, simple et fluide, comme lorsque j’étais enfant ?

J’ai passé dix ans à me battre : pour avoir un travail, de l’argent, une position sociale… mais aujourd’hui je n’ai plus la force, pas même celle de me lever…

Mon amie réfléchit.

— Bon, retournons à la source justement.

— Au burn-out ?

— Non, ça, c’était la fin des haricots, ma biche. Je parle du vrai commencement, lorsque tu étais petite. Qu’est-ce que tu aimais faire ?

Qu’est-ce que j’aimais faire enfant ? Hum… J’aimais courir après les papillons, jouer avec mes petits poneys, lire des Astérix

Je me redresse brusquement :

— Ça y est j’ai trouvé, Jenny ! Je sais ce que je vais faire !

— Magnifique ! Alors ?

— Je vais lire des Astérix !

L’incrédulité se peint sur le visage de mon amie :

— Tu n’es pas sérieuse là ?

— Au contraire ! File-moi un Astérix, dis-je en pointant du doigt une étagère.

Elle se lève de mauvaise grâce et se dirige vers l’étagère en soupirant :

— Tu n’es pas prête.

Oh que si je suis prête ! Je suis justement enfin prête à ne plus prendre la vie avec autant de lourdeur, au diable le sérieux !

— Lequel tu veux ?

 Astérix en Corse.

La couverture joyeuse et bariolée m’arrache déjà un petit rire. Quant au fromage corse qui fait exploser le bateau et les druides corses qui attendent que tombent les figues, ça m’inspire drôlement !

J’ai demandé à Mamie Pierrette de m’acheter un Bastelicacciu bien puant avec des figues et je les ai mangés en regardant passer le temps, telle la sagesse druidique des Corses.

 

Attendre le temps qui passe

 

Oui, j’attends que passe le temps. C’est drôlement beau de regarder le temps qui passe. Et qu’est-ce qu’il s’en passe des choses dans le temps ! Pour moi, c’est très nouveau tout ça. Je n’avais jamais eu le temps de le regarder passer, le temps, c’est d’ailleurs pour ça qu’il est passé salement vite. Comme je n’avais pas de temps pour lui, il n’en avait pas pour moi, c’était de bonne guerre.

Mais maintenant, c’est différent, je le regarde partout : dans une marguerite qui vient d’éclore, dans un nuage qui passe, dans l’envol d’un oiseau, dans le visage de mamie.

Alors il prend le temps pour moi, il rallonge mes jours, mes heures, et même ces petits moments de paix que je n’avais connus jusque-là que furtivement. Il est gentil, ce temps, lorsqu’on prend soin de lui.

Je ne sais même plus pourquoi j’ai atterri dans cette frénésie de la mode.

Ce que je voulais, moi, c’était apprendre l’Histoire et écrire des livres, mais on m’avait dit que ça ne faisait pas d’argent, alors j’ai fait des jupes-culottes et des cols Claudine…

Qui m’avait dit ça au juste ?

Bah, tout le monde, mes parents, l’Éducation nationale, mon milieu social –chez les businessmen ont fait de l’argent et pas d’histoire…

Bref, tous ces gens m’avaient inculqué de grandes bêtises du haut de leurs petits savoirs.

 

L’avantage du burn-out

 

Heureusement, le burn-out a cet avantage de réduire en cendres ces ignorances dont on a fait nos croyances. Et comme on ne croit plus rien, on refait ses premiers pas sur le chemin du savoir. Il faut bien sûr des parents pour nous tenir la main, à la seule différence que cette fois, on peut les choisir. Et même pas la peine de se cantonner à deux !

En ce qui me concerne, ils commencent à être si nombreux que je ne les appelle plus mes parents, mais mon conseil d’administration. Je les consulte à chaque décision, chaque hésitation, chacun ayant son domaine de compétence.

Napoléon et Richard Branson, par exemple, ont celui des affaires. “Abordez la guerre sans aucun système et étudiez le terrain”, professe l’un. “Soyez fous et kiffez pour faire de l’oseille”, complète l’autre.

Il y a aussi des psychiatres comme Viktor Frankl, qui m’ont révélé que faire un burn-out n’est pas une folie, mais plutôt une preuve de sagesse, l’homme ayant besoin de sens dans ce qu’il fait, dans ce qu’il vit, sinon il dépérit. Le pauvre Viktor avait appris ça contre son gré dans les camps de concentration, étant juif, psychiatre et déporté. Selon son constat, ceux qui mourraient n’étaient pas les plus dénutris, mais ceux qui avaient perdu le sens de la vie.

 

Une preuve de sagesse

 

En le lisant, j’ai eu l’impression de percer un secret libérateur, c’est pourquoi j’ai persévéré dans la sagesse, auprès de grands maîtres, ceux que me conseillait Mamie Pierrette, mais que je n’avais jamais pris le temps de lire, n’en voyant pas le sens, justement.

Épicure, Marc Aurèle, Jésus, Épictète, Spinoza… Si je tentais de percer leurs secrets, je ne perçais malheureusement pas toujours tout, pour ne pas dire rien du tout, mais je comprenais l’essentiel : il y a une vérité que la plupart des humains ignorent. Et pendant que ces derniers se débattent dans leurs misères –faute de la connaître, mes sages, eux, kiffent la vie… et même la mort !

Bien sûr, je suis encore dans l’obscurité de la caverne dont parle Platon, mais les membres de mon conseil d’administration y allument quelques lumières, et me permettent d’y instaurer mes propres règles.

J’ai ainsi banni le mot travail de ma vie, je suis simplement mes envies.

Ça a commencé par lire un Astérix, puis écrire un livre historique.

Un éditeur – un ami d’ami qui avait un ami… a publié mon livre.

Stéphane Bern m’a invité dans une de ses émissions pour en parler – là encore, un ami d’ami qui connaissait un ami… le hasard, quoi !

La télévision m’a rappelée :

— Voulez-vous travailler avec Stéphane Bern pour une émission sur l’Histoire et le Patrimoine ?

— Euh… je ne suis pas journaliste, ni historienne, Monsieur.

Ça n’a pas eu l’air de le déranger, ce Monsieur. Moi, si. J’ai d’abord cru à un canular, puis j’ai eu peur : je ne serai jamais capable de faire ça ! Je l’ai fait quand même.

— Mais comment tu as fait pour en arriver là ? me demande-t-on souvent.

Un burn-out ! Sauf que j’en ai honte, alors je dis simplement aux gens que je ne sais pas.

— Un burn-out ? Mais c’est dingue ! Il faut absolument que tu en parles dans mon nouveau blog Les Déviations !

— Non, Laurence, comme je viens de te dire, j’en ai honte.

Seulement Laurence est mon amie et elle insiste grave, alors j’en parle, mais j’ai peur.

— T’inquiète ma biche, y aura que ta mère et ma sœur qui regarderont, j’ai aucun follower.

Une semaine plus tard, 6 millions de vues. Merde.

Flammarion m’appelle, il veut que j’en fasse un bouquin. Re-merde.

J’ai toujours honte. J’ai toujours peur. Parler de l’hôpital psychiatrique, du RSA, de la mort… c’est pas facile.

Mais je l’écris, je dis tout.

Et surtout je dis merci à la vie.

J’entends encore les mots de mamie : “Ne t’inquiète pas, mon petit, tout va bien.”

Oui, tout va bien.

Merci la vie, merci mamie, merci à vous, merci pour tout.

Ariane Dubois – Ne t’inquiète pas, tout va bien – Ed. Flammarion