Avant l’effondrement

 Avant j’étais une infirmière heureuse de pratiquer ma profession, elle m’apportait un épanouissement car je conjuguais prise en charge humaine ainsi que les soins et gestes techniques, c’était enrichissant.

Petit à petit en quelques années, le nombre d’actes croissants, le temps, la lourdeur des tâches administratives et informatiques ont pris le pas sur le prendre soin des patients. Je me suis perdue moi-même à pratiquer ce métier qui ne ressemblait plus à celui que j’avais choisi à 20 ans. Soit je faisais ce que l’institution me demandais à savoir le traçage informatique du patient avant de m’occuper de lui à son arrivée, un salut rapide pour se présenter et sans attendre préparer ses soins techniques, et je m’en voulais, je culpabilisais d’avoir failli dans ma prise en charge. Soit je travaillais selon mes valeurs personnelles c’est-à-dire l’accueil global du patient, un temps de communication indispensable pour faire connaissance, recueillir la confiance du patient et pouvoir travailler sereinement et humainement. Alors j’entendais des reproches comme « on perd du temps », «  allez on avance » « ça on va s’en occuper, toi tu vas préparer ton matériel » …qui étaient comme une gifle et une négation de tout ce que représente pour moi la prise en charge infirmière.

Les temps d’échanges avec mes collègues infirmiers étaient également réduits car chacun a une lourde charge de travail et veut aller au bout car nous sommes très consciencieux. Impossible d’organiser ne serait-ce qu’une mini réunion de 30mn par semaine pour débriefer, et nous prenions nos repas en décalé pour pouvoir se relever, (= nous remplacer alternativement à nos postes) donc pas ou peu d’échanges verbaux au moment d’une pause.Je suis devenue de plus en plus triste et je ne me reconnaissais plus à travailler de cette façon, ce n’était plus moi qui travaillais mais une autre personne, je me sentais sans repère dans certaines situations professionnelles que je maîtrisais auparavant. Je me suis mise à faire des fiches-mémoire que je consultais en douce dans ma poche car j’oubliais les procédures. J’avais l’impression que la charge de travail s’ajoutant au manque de connections humaines me mettaient au pied d’un mur infranchissable. J’en cauchemardais la nuit, je pensais à mon travail le soir, les jours de repos, il était au centre de mes préoccupations.

En parallèle, un des médecins de mon service m’a pris en grippe et me faisait des reproches perpétuels, il m’appelait par un autre prénom pour s’amuser (un prénom plutôt ridicule en plus), il disait à la cantonade « en plus elle est sourde » quand je lui demandais de répéter alors qu’il marmonnait volontairement. A chaque fois que nous étions amenés à travailler ensemble, il trouvait toujours une remarque acerbe à faire. Un jour de février, il m’a dit que je ne progressais plus, qu’il était mécontent de mon travail, et que ma cadre, mes collègues infirmiers de mon équipe et les autres médecins du service le pensaient aussi. Ce qui était faux heureusement, c’était une tentative de manipulation m’a dit ma cadre, qui a tout fait pour me rassurer là-dessus après entretien avec les autres professionnels, mais le mal était fait. J’étais effondrée.

Quand j’arrivais dans le service chaque jour, j’avais l’impression que j’entrais dans le tambour d’un lave-linge, que le hublot se refermait pour subir l’essorage 1400 tours/mn.

Mon cerveau avait perdu ses connaissances et ses compétences professionnelles.

Un vendredi après-midi, épuisée tant physiquement que moralement, j’ai senti monter en moi une fatigue physique intense. Mes bras étaient anormalement lourds. Ma réserve d’énergie épuisée. Mes batteries étaient à plat, je me suis mise à pleurer à l’infini sans savoir pourquoi, je pleurais comme il pleut quand ça ne s’arrête plus.

J’ai pris RDV chez mon médecin traitant le soir même, j’ai tout raconté, j’étais surprise de tout ce que je portais comme souffrance et du temps que j’avais tenu.

Babeth, une BURN’ette